Il faut être toujours ivre.
Tout est là : c’est l’unique question.
Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps
qui brise vos épaules et vous penche vers la terre,
il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ?
De vin, de poésie ou de vertu,
à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais,
sur l’herbe verte d’un fossé,
dans la solitude morne de votre chambre,
vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue,
demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau,
à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit,
à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle,
demandez quelle heure il est ;
et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge,
vous répondront : Il est l’heure de s’enivrer !
Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps,
enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.
♡☆♡
~ Baudelaire ~
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